Auteur : André Pratte
Référence : La Presse, 4 juin 2006, p. A12
Malgré les avertissements répétés des services de police et de renseignements depuis le 11 septembre 2001, les Canadiens ont encore du mal à croire que leur pays pourrait un jour être la cible d'un attentat terroriste. Le démantèlement vendredi soir en Ontario d'un groupe qui s'apprêtait à commettre un grave attentat nous forcera tous à nous rendre à l'évidence: les terroristes sont parmi nous.
Dix-sept personnes, dont cinq mineurs, ont été arrêtées et accusées en vertu des dispositions antiterroristes du Code criminel. Selon le commissaire adjoint de la GRC, Mike McDonell, " ce groupe représentait une menace réelle et grave. Il avait la capacité et l'intention de perpétrer ces attaques. " Entre autres éléments compromettants, les policiers ont trouvé chez les suspects pas moins de trois tonnes de nitrate d'ammonium, un composé chimique qu'avait employé Timothy McVeigh pour faire sauter un édifice gouvernemental à Oklahoma City, tuant 168 personnes. La quantité de nitrate d'ammonium dont disposaient les personnes appréhendées vendredi soir est trois fois plus importante que la charge utilisée par McVeigh. Bref, ce qui se préparait dans la région de Toronto était gros. Très gros.
On ne connaîtra peut-être qu'au cours du procès les détails de l'affaire, notamment la cible visée et les motivations des accusés. On sait déjà, toutefois, que le groupe fait partie de cette nouvelle forme de terrorisme qu'on pourrait baptiser " terrorisme islamiste maison ". Les 17 personnes arrêtées étaient des citoyens ou des résidants canadiens, bien que portant des noms à consonance arabe. Comme l'ont appris à leurs dépens les Britanniques lors des attentats dans le métro de Londres il y a un an, ce terrorisme-là est particulièrement sournois. Ces militants sont bien intégrés à la société dans laquelle ils vivent. Contre eux, le renforcement de la surveillance aux frontières et des contrôles à l'immigration sont futiles.
Bien des gens ont réagi avec scepticisme lorsque, au début de la semaine dernière, le sous-directeur des opérations au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Jack Hooper, a déclaré devant un comité du Sénat que " les éléments qui ont mené aux attentats de Londres sont présents ici en ce moment au Canada. ". M. Hooper, on le constate aujourd'hui, savait fort bien de quoi il parlait. Il a plaidé en faveur de ressources additionnelles pour le SCRS; c'est une requête que le gouvernement fédéral devra étudier avec beaucoup d'attention.
Le premier ministre, Stephen Harper, rencontre lui aussi beaucoup de scepticisme lorsqu'ilsoutient que le Canada doit participer à la guerre au terrorisme. " Les événements du 11 septembre 2001 ont été un dur rappel de la réalité pas uniquement pour les Américains, mais pour tous les habitants des pays libres et démocratiques, a-t-il rappelé lors du débat sur le prolongement de la mission canadienne en Afghanistan. Le Canada n'est pas à l'abri de telles attaques. Nous ne serons jamais à l'abri tant que nous sommes une société qui défend la liberté, la démocratie et les droits de la personne. "
Les Canadiens doivent sortir de leur confort et de leur naïveté. Le terrorisme n'est pas une phobie de George Bush, mais bel et bien une menace qui pèse sur toutes les sociétés démocratiques. Dont le Canada.